Les origines 1758 - 1870
Créée en 1758, l'entreprise des frères Susse est devenue une fonderie et un éditeur d'art dès le début du 19e siècle. Ces origines lointaines font de Susse Fondeur la plus ancienne fonderie d'art française encore en activité.
Origines
En l’espace de trois générations, entre 1740 et 1830, les Susse, une famille dynamique et entreprenante, quittent leur Lorraine natale, s’installent à Paris, abandonnent leur métier traditionnel de fabricants de meubles et deviennent des marchands et connaisseurs d’art réputés dans le monde entier. Adam, le premier membre de la famille dont le nom est connu, était fabricant de meubles à Château-Rouge, près de Sarrelouis.
Son fils Jean, né en 1726, « monte à Paris » à l’âge de vingt-trois ans pour y exercer le métier de son père, une pratique courante sous l’Ancien Régime. Le destin sourit à ce jeune compagnon de province puisqu’en l’espace de quelques années seulement, il devient un fabricant établi.
En 1791, à l’âge de soixante-sept ans, Jean transmet à contrecœur l’entreprise à Jean-Baptiste, son fils aîné, et passe le restant de ses jours dans sa maison de la rue de Bussy à Paris. Jean Baptiste reprend les rênes durant la phase la plus agitée de la Révolution. Cependant, comme l’entreprise de meubles continue de générer un revenu satisfaisant et qu’il a obtenu une dot substantielle en épousant la belle Sophie Denuelle, Jean-Baptiste décide de profiter de la situation pour se livrer à diverses «spéculations rentables».
En 1804, Nicolas, le frère de Jean-Baptiste, qui a suivi une formation de graveur, conclut un partenariat avec un certain André Schrantz, « artiste technique », afin de fabriquer du « papier à lettres fantaisie en relief ». Il loue à Paris pour ce faire une boutique au 7, passage des Panoramas, une ruelle située à proximité du boulevard Montmartre, qui existe toujours. À la fin des guerres révolutionnaires, les affaires reprennent et l’entreprise croît rapidement.
Michel-Victor, le jeune frère de Nicolas, déjà « marchand de papier », rejoint les deux associés. À l’époque, l’entreprise est spécialisée dans la fabrication et la vente de papiers de qualité et de fournitures de bureau - buvards, encriers, stylos, crayons, etc.
En 1816, l’entreprise continuant de prospérer, Nicolas et Michel-Victor achètent les commerces situés 7 et 8 passage des Panoramas. Parallèlement, ils étendent leurs activités. Outre la papeterie de luxe, ils commencent également à vendre toutes sortes de matériaux de peinture: boîtes d’aquarelles, lavis et pastels, supports pour miniatures et une gamme complète de matériaux pour le dessin, la peinture à l’huile, à l’aquarelle et à la gouache.
À leurs diverses activités, les Susse ajoutent alors l’édition de livres, en produisant une série d’ouvrages sur les techniques de dessin et de peinture, dont le « Nouveau petit manuel de la peinture à l’huile, sujets de genre et de paysage » et le «Nouveau petit manuel de peinture à la miniature et à l’aquarelle pour le portrait».
Leur réussite est confirmée en 1830 par leur élévation au titre de Fournisseurs de la reine Marie-Amélie, l’épouse du roi Louis-Philippe, et de la princesse Louise, leur fille – qui épouse le roi Léopold I des Belges en 1832 – puis en 1847 à celui de Fournisseurs du duc de Montpensier.
L’art au service de la religion et de la politique
Après la chute du Premier Empire, l’Église catholique tente de regagner une partie du pouvoir qu’elle avait perdu durant la Révolution. Fervents catholiques, les frères Susse contribuent à cet effort, connu par la suite comme le mouvement de la «rechristianisation».
Etienne Marin, connu professionnellement sous le nom de Mélingue (1808-1875), produit six créations religieuses pour Susse. À cette époque, Susse reproduit également des sculptures représentant des hommes politiques de premier plan. Les royalistes, et surtout les bonapartistes, souhaitent pouvoir contempler chez eux des bustes de leurs chefs de file. Sous la Restauration, le souvenir de Napoléon Bonaparte est encore vif. Le catalogue de 1839 contient un portrait de l’Empereur à cheval réalisé par Antonin Moine, et François Antommarchi (1790-1838) a exécuté le masque mortuaire de Napoléon 1er au moyen d’une empreinte prise à Sainte-Hélène.
Dans le catalogue de 1844, publié après le retour des cendres de Napoléon à Paris, figurent des statuettes de l’Empereur debout, sculptées par Isidore-Romain Boitel (1812-1861) et par Pradier.
En 1836, lorsque Victor, Amédée et Eugène Susse reprennent l’entreprise de Michel-Victor et Nicolas, leurs père et oncle, ils prennent rapidement conscience d’un nouveau et puissant moyen de promotion : la publicité.
Victor et Amédée se répartissent alors les responsabilités, Amédée se consacrant principalement à l’activité papeterie et articles de bureau. C’est lui qui, quelques années plus tard, conçoit une machine à perforer les feuillets de timbres-poste. Son invention est enregistrée en 1861 et décrite par l’Office des brevets comme «un système d’estampage permettant de perforer, découper et fractionner les timbres-poste pour faciliter leur séparation sans avoir recours à des ciseaux, des couteaux ou d’autres instruments de coupe, tout en laissant les feuillets intacts ». Peu après, cette machine est adoptée par la Poste française, qui verse à son inventeur une redevance sur les timbres vendus par la galerie.
À partir de 1860, des publicités concernant des bronzes apparaissent de plus en plus fréquemment dans Le Charivari. Durant le seul mois d’octobre, le quotidien publie en alternance deux publicités différentes dix-neuf fois de suite : le « fabricant de bronzes d’art pour horloges et mobilier, Susse Frères », illustré par la Vénus de Médicis inspirée d’un bronze reproduit par la maison Susse, lui-même copié de l’original grec conservé à la Galerie des Offices à Florence, et « le Musée des Frères Susse, bronzes d’art, une sélection de trois cents horloges allant de 45 à 1000 francs... ».
En prévision de l’Exposition Universelle de 1867, les Susse contribuent ensuite au lancement d’une revue hebdomadaire, « Le Panthéon de l’industrie et des arts », destinée à promouvoir les produits français. Les souscriptions sont ouvertes au bureau de la revue ou à la galerie Susse.
Les expositions internationales, 1870 - 1900
Susse, un éditeur de sculptures
Après leur participation aux grandes expositions de l’époque, notamment celles de Londres en 1871 et de Vienne en 1873, les frères Susse publient en 1875 un catalogue général contenant la liste de toutes les oeuvres reproduites alors par l’entreprise, le nombre de bronzes à vendre attestant irréfutablement de sa vitalité et de sa prospérité.
La réussite des frères Susse fait bien sûr des envieux dans leur entourage. En 1874, John Pradier, fils du célèbre sculpteur, intente un procès à l’entreprise à propos des droits de reproduction des créations de son père. À l’issue d’une lutte acharnée portant sur des intérêts financiers très considérables, le tribunal finit par donner gain de cause à John Pradier et Susse doit renoncer à reproduire les œuvres de l’homme qui, pendant plus de trente ans, a contribué à la renommée de l’entreprise.
Albert Susse n’a aucune intention d’utiliser ses nouvelles connaissances uniquement à des fins personnelles. Il devient l’ambassadeur de la sculpture française au sens large. Ses visites et la publication de ses découvertes ont pour but de protéger la sculpture française et d’en assurer la promotion en Amérique. Ses efforts en ce sens lui valent de recevoir la Légion d’Honneur des mains du Président Carnot en mai 1894.
Sculpture historique, militaire et patriotique
Depuis l’Antiquité, l’ordre établi a toujours manifesté un intérêt pour la sculpture officielle et s’en est servi pour commémorer les actes du souverain et de son entourage. Les protagonistes de la Restauration en 1815 et ceux du Second Empire ont eux aussi jugé bon de s’immortaliser dans la pierre ou le bronze. Après la défaite de la France en 1870, ce genre de sculpture acquiert une importance accrue ; le gouvernement l’utilise pour redonner confiance à une population démoralisée par la victoire allemande, pour permettre à l’armée de retrouver son amour-propre et également pour rappeler au peuple français le traumatisme de la perte de l’Alsace et de la Lorraine.
Les gouvernements de la Troisième République donnent une nouvelle dimension à l’utilisation de la sculpture à des fins de propagande. Ils ne se contentent plus d’utiliser les personnalités politiques de l’époque comme modèles, mais leur adjoignent tous les héros des siècles passés qui leur paraissent symboliser la gloire de la France. La sculpture officielle revêt dès lors une dimension non seulement historique mais également militaire et patriotique. L’objectif du gouvernement est avant tout de rappeler à la nation et au monde la prééminence de la civilisation française, et en particulier son influence sur la littérature et les arts.
En reproduisant ces sculptures, la maison Susse contribue à l’élan patriotique général.
La période de l'après-guerre
Les visionnaires André et Arlette Susse
Un changement d'ère
La fonderie Adrien-Aurélien Hébrard a été mise en liquidation en 1934 et, dans les années qui suivent la Seconde Guerre mondiale, de nombreux autres reproducteurs et créateurs d’art mettent la clef sous la porte. De tous les grands noms du XIXe siècle, seul celui de Susse parvient à survivre, après une remise en cause fondamentale pour s’adapter à l’évolution du marché, qui délaisse les sculptures décoratives au profit des sculptures originales. André réalise que le marché a irrévocablement changé et que, pour survivre, l’entreprise doit intégrer cette évolution. Si la qualité des sculptures que l’entreprise a reproduites avec un tel succès pendant tant d’années reste indiscutable, les bronzes décoratifs reproduits en nombre illimité sont tombés en disgrâce.
Après plusieurs années durant lesquelles les produits traditionnels de l’entreprise se vendent très mal – une situation exacerbée par l’acceptation de projets de prestige, qui se soldent souvent par des pertes considérables – un changement de cap est inévitable.
Jacques décède en 1954 et, l’année suivante, André décide de se consacrer exclusivement à la fonderie d’Arcueil, une commune située au sud de Paris. Il privilégie désormais la production d’originaux numérotés, strictement limitée à un maximum de douze exemplaires de chaque oeuvre. André se rend alors dans diverses régions de France, ainsi qu’en Grande-Bretagne, en Suisse et en Espagne, pour persuader de nouveaux artistes d’être fondus par l’entreprise. Épaulé par Arlette Pamblanc, la jeune Suissesse qu’il a épousée en 1949, André entretient d’excellentes relations avec les artistes et met de nombreuses installations à leur disposition, notamment son atelier, pour leur permettre de travailler sur leurs projets. Il aime à se vanter que « l’artiste chez moi est chez lui », une phrase devenue depuis la devise de l’entreprise.
L'aide décisive d'Arlette Susse
Très tôt, Arlette Susse accompagne son mari à la rencontre des artistes. Elle constate qu’elle établit rapidement d’excellentes relations avec chacun d'eux. Les commandes affluent et l’entreprise reprend vie. Après le décès prématuré de son mari en 1961, Arlette Susse reprend courageusement la direction de l'entreprise. Le charme et le savoir faire d'Arlette Susse sauvent la fonderie et les commandes continuent d'affluer. Cécile Goldscheider, la célèbre conservatrice du musée Rodin, confie plusieurs projets à l’entreprise – et quels projets ! Ces commissions vont de simples bustes aux plus grands et plus importants monuments d’Auguste Rodin (1840-1917) : « Balzac », « Les Bourgeois de Calais », « L’âge d’airain » et bien d’autres. Par le truchement de la veuve d’Antoine Bourdelle (1861-1919) puis de Rhodia Duffet Bourdelle, sa fille, le musée Bourdelle commande de nombreuses œuvres.
En 1967, Arlette Susse décide d’organiser une somptueuse exposition de sculptures et de tapisseries à l’abbaye de Royaumont, en collaboration avec Denise Majorel de la galerie La Demeure. Elle respecte la tradition perpétuée par André et attribue le Prix Susse, rebaptisé Prix André Susse, et organise en juin 1967 dans les jardins du musée Galliera une exposition rétrospective de tous les lauréats des années passées. Voyageant et organisant souvent des expositions à l’étranger pour les artistes français, elle ne cesse de défendre leurs intérêts.
En 1975, après quatorze ans de travail acharné, Arlette Susse estime que l’heure est venue pour elle de prendre sa retraite et décide donc de céder l'entreprise.